.Aujourd’hui plus qu’hier, le dialogue politique apparait comme une exigence démocratique fondamentale. Si la vitrine démocratique sénégalaise a tant brillée avec éclat dans le monde, la pratique du dialogue politique en est pour beaucoup. Cette dernière a permis à notre pays d’avoir hissé très haut son drapeau dans le firmament des nations authentiquement démocratiques. C’est la raison pour laquelle, je pensais que tous les acteurs politiques allaient véritablement se réjouir de l’initiative prise par le président Macky Sall, de lancer un appel à un dialogue politique, dans cette période où le monde en général, et notre sous-région en particulier, traversent de nombreuses zones de turbulences liées à la crise sécuritaire, à la violence qui est entrain de déstabiliser les Etats en plongeant les populations dans l’angoisse, l’instabilité et l’insécurité croissante. Si l’on sait que les enjeux géostratégiques dans le Sahel ont fait sauter les verrous sécuritaires et accéléré le processus de déstabilisation de nos Etats, on mesure les menaces qui guettent notre pays dans le contexte de l’élection présidentielle de février 2024. Ces menaces sont d’autant plus redoutables et redoutées que nous sommes à quelques encablures de l’entrée du Sénégal dans le cercle restreint des pays producteurs de pétrole et de gaz, qui partout dans le monde, sont considérés comme des ressources naturelles qui suscitent énormément des convoitises et d’appétit. Mais le constat qui se dégage est que certains acteurs politiques de l’opposition ne veulent pas répondre à la main tendue par le président Sall pour dialoguer et trouver des solutions aux multiples défis qui nous interpellent. On a le sentiment que plus l’échéance électorale de la présidentielle du 25 février 2024 approche, plus les tensions s’exacerbent entre le pouvoir et l’opposition. Pourtant, comme chacun le sait, le dialogue, quel que soit le contexte politique que traverse le pays, doit être considéré comme une tradition solidement établie au Sénégal. La longévité de cette tradition a même poussé de nombreux observateurs à considérer que le dialogue politique est consubstantiel à notre démocratie. Bien plus, il constitue même un des acquis les plus importants de la démocratie sénégalaise. C’est précisément c’est l’esprit de tolérance, de solidarité et de partage qui a permis aux différentes ethnies de tisser un formidable brassage de liens de cordialité et de fraternité qui ont consolidé et cimenté l’unité de la nation dans ce qu’on appelle un « commun vouloir de vie commune », qui constitue l’identité de l’exception sénégalaise, magnifiée dans le monde entier. Une telle situation est due au fait que le Sénégal, à la différence de beaucoup de pays africains a une culture électorale très ancienne. Celle-ci, d’après les historiens, remonterait à 1848. De l’accession de notre pays à l’indépendance en 1960 jusqu’à nos jours la trajectoire électorale du pays a subi de nombreuses péripéties, mais n’a jamais été interrompue. Le pays n’a jamais connu de coups d’Etat militaire, et les élections se sont régulièrement tenues, conformément au calendrier républicain.S’il est donc incontestable et incontesté que la vitalité de la démocratie sénégalaise a toujours reposé sur le dialogue, il y a lieu de s’interroger sur la source de cette tradition. De mon point de vue, il y a deux (02) principales sources. Première source : La reconnaissance constitutionnelle de l’opposition.La source première du principe du dialogue politique repose d’abord dans la Charte fondamentale de notre pays, en son titre V qui définit la place de l’opposition dans notre système politique et qui constitue une innovation majeure dans le renforcement des acquis démocratiquesEn effet, l’article 58 garantit aux partis politiques qui s’opposent à la politique du Gouvernement, le droit de s’opposer, mais définit en même temps leur statut et fixe leurs droits et devoirs.Le Préambule de la Constitution affirme sans ambigüité : « la volonté du Sénégal d’être un Etat moderne qui fonctionne selon le jeu loyal et équitable entre une majorité qui gouverne et une opposition démocratique, et, un Etat qui reconnaît cette opposition comme un pilier fondamental de la démocratie et un rouage indispensable au bon fonctionnement du mécanisme démocratique. »En constitutionnalisant ainsi les rapports dialectiques entre pouvoir et opposition, le constituant sénégalais a voulu sans doute magnifier le fait qu’en démocratie, il y a une égale dignité à être du côté du pouvoir comme de l’opposition. La deuxième source : Une longue tradition historique.La seconde source du dialogue politique repose sur une longue tradition qui fait qu’il est considéré comme un élément constitutif et une partie intégrante de la culture démocratique sénégalaise. En parcourant d’un long regard la trajectoire démocratique de notre pays, l’on s’aperçoit que le dialogue politique a très souvent été présent sur la scène nationale, malgré les convulsions sociales et politiques qui ont rythmé la marche de notre société.De Blaise Diagne à Carpot et Ngalandou Diouf, de Senghor à Lamine Guèye, de Mamadou Dia à Abdou Diouf, de Abdoulaye Wade à Macky Sall, le dialogue politique entre les différents acteurs politiques, a connu des fortunes diverses, mais n’a jamais été rompu. Sous le magistère du président Senghor, il a revêtu la forme des trois, puis quatre courants politiques consécutifs à l’ouverture démocratique limitée à partir de 1976. (Socialiste, Libéral, Communiste et Conservateur). Sous le magistère du président Diouf au lendemain de son accession à la magistrature suprême après le départ du premier président de la République en 1980, le dialogue politique s’est élargi avec le multipartisme intégral plus connu sous le vocable « d’ouverture démocratique illimitée », c’ est à dire de possibilité de création de parti politique sans référence à un courant de pensée. Depuis cette période jusqu’à nos jours avec l’avènement du président Macky Sall à la tête de l’Etat en 2012, le rythme de la création des partis n’a cessé de s’accélérer à une vitesse vertigineuse, atteignant bientôt 400 partis légalement constitués. Que ce soit dans le cadre des institutions de la République ou en dehors de celles-ci, le dialogue politique qui a toujours prévalu dans notre pays, sous une forme ou une autre, a fini par s’imposer comme un impératif politique incontournable. C’est donc une illusion de croire ou faire croire que quelqu’un peut de façon délibérée bloquer le dialogue politique qui est devenu une exigence démocratique incontournable à laquelle aucun acteur politique ne doit se soustraire. C’est cela peut sans doute, la signification du titre de la contribution éclairante d’un leader politique expérimenté, Mamadou Diop DECROIX, intitulée « Dialogue politique : ET POURTANT IL N’Y A PAS D’AUTRE ISSUE ! » (Le Quotidien, n° 6061 du lundi 8 mai 2023).En revisitant l’histoire du dialogue politique dans notre pays, on s’aperçoit qu’il a véritablement atteint son point culminant en 1992 avec l’adoption du Code consensuel, dit « Code Kéba Mbaye ». Il s’est poursuivi en 1997, avec la création de l’Observatoire National des Elections (ONEL), devenu aujourd’hui CENA (Commission Electorale Nationale Autonome). Depuis cette période, les rencontres entre le Ministère chargé des Elections et tous les acteurs politiques sont devenues presque institutionnalisées. Avant et après chaque élection, tous les acteurs du jeu politique se retrouvent autour de la table de concertation pour préparer, discuter du processus puis évaluer le scrutin et dégager collectivement des perspectives pour les échéances à venir.En perspective de présidentielle du 25 février 2024 qui doit se tenir dans moins de 10 mois, de nombreuses questions doivent être discutées avant le scrutin. Elles sont nombreuses et les acteurs politiques doivent eux-mêmes en faire l’inventaire et les mettre dans la corbeille de la discussion.C’est dire qu’il n’appartient nullement au président Macky Sall de proposer les termes de référence de ce dialogue, contrairement à ce que certains leaders de l’opposition ont affirmé. D’ailleurs aucun président de la République n’a eu dans le cadre des concertations sur le processus électoral, à définir les TDR à la place des acteurs politiques. Ce sont eux-mêmes qui doivent se retrouver autour de la table de discussion pour s’entendre sur les Termes de référence (TDR). Maintenant, s’il s’agit d’un appel lancé à tous les segments de la société , politique comme non politique, comme celle du samedi 28 mai 2016 au Palais de la République, par exemple, pour discuter de questions générales intéressant la nation toute entière, il appartient au chef de l’Etat dans ce cas, de définir lui-même les TDR.En conclusion, j’estime et je souhaite que tous les acteurs politiques aillent à la table de concertation, dans l’esprit supérieur de la nation, pour échanger et discuter sur les problèmes qui interpellent le devenir du peuple sénégalaisPour l’instant, je constate qu’il y a quatre (04) positions qui se dégagent à propos du dialogue.1-Ceux qui refusent de participer à tout dialogue en justifiant leur position par des exigences préalables, préjudicielles, notamment d’une renonciation expresse et sans équivoque du président Macky Sall à une nouvelle candidature à la présidentielle 2024. Pour eux, c’est une conditionnalité non négociable.2-Ceux qui estiment que toutes les questions peuvent être sur la table de discussion, y compris la candidature du président sortant (3eme candidature ou 2eme mandat de cinq ans).3-Ceux qui estiment que seul le Conseil constitutionnel peut valider ou invalider les candidatures à l’élection présidentielle du 25 février 2024. 4-Ceux qui pour l’instant ne se sont pas encore prononcés.En tout état de cause, nous devons faire confiance au peuple sénégalais, détenteur de la souveraineté populaire, et seul habilité à choisir le prochain président de la République du Sénégal.
Ousmane BADIANEConseiller Spécial du Premier Ministre..